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Mémoire de fille

Annie Ernaux





  • Broché: 160 pages
  • Editeur : Gallimard (1 avril 2016)
  • Collection : Blanche
  • Existe en version numérique
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2070145972
  • ISBN-13: 978-2070145973









Ce n’est pas la première fois qu’Annie Ernaux revient sur un épisode de son passé, c’est même le leitmotiv de ce que l’on peut appeler son oeuvre, depuis La place, en passant par les Armoires vides, elle nous a habitués à ce discours au microscope, qui met en lumière la difficulté de s’intégrer à une nouvelle niche sociale sans renoncer à ses origines. Et pourtant, cette fois un pas a été franchi, un pas qui permet de comprendre tout le reste  : des critiques ont parlé de chainon manquant, et l’auteur le confirme : 

« Depuis vingt ans, je note « 58 » dans mes projets de livre. C’est le texte manquant, Toujours remis. Le trou inqualifiable.»

La difficulté de l’entreprise reste palpable, et est confiée au lecteur, à travers cette justification de l’utilisation alterne du « je » et du « elle ». Et c’est fondamental, car le récit se construit à l’aide des souvenirs de l’épisode estival traumatisant, mais aussi de l’analyse que l’écrivain en fait après ces décennies, des conséquences immédiates mais aussi du rôle fondateur des traces profondes de l’événement
La tâche est rude, 

« pour faire ressentir la durée immense d’un été de jeunesse dans les deux heures de lecture d’une centaine de pages » 

quelques semaines suivies de quarante ans de présence clandestine en filigrane, quarante années de non-dit, mais de ressenti et qui élucident cette sensation de mal-être qui m’a toujours interpelée dans les récits de l’auteur.
Et cette fois tout est là, justifiant le reste, 

« à quoi bon écrire si ce n’est pour désenfouir des choses, même une seule, irréductibles à des explications de toutes sortes, psychologiques, sociologiques, une chose qui ne soit pas le résultat d’une idée préconçue ni d’une démonstration, mais du récit, une chose sortant des replis étales du récit et qui puisse aider à comprendre - à supporter - ce qui arrive  et ce qu’on fait ».

Et comme toujours, au delà de l’intime, le récit lève le voile sur les us et coutumes d’une époque, la jeunesse des années soixante. Est-elle différente?  Désir de se fondre dans le groupe, au risque d’un rejet, (pas besoin de Facebook pour être mis à l’écart), vertige d’une soudaine liberté qui avec  le sentiment d’immortalité induit la prise de risque, la différence est ténue, le SIDA et la technologie de communication ont juste modifié les outils.


Enfin, ce qui apparaît, c’est que cet épisode douloureux, et la période qui l’a suivi, a sans nul doute une implication majeure sur l’avenir de la toute jeune fille de 58 : serait-elle devenue cet écrivain talentueux que l’on suit avec plaisir depuis tant d’années? Aurait-elle pu accéder à cette destinée qui fait d’elle 
« un être littéraire, quelqu’un qui vit les choses comme si elles devaient être écrites un jour »?



1 commentaire:

  1. J'ai admiré, en plus du talent de l'auteur, son courage pour s'immiscer complètement dans cette époque, dans des souvenirs douloureux. Certains souvenirs de ces années résonnent avec les miens.

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